Edern-Plonévez

Edern morne plaine.

Dimanche, direction Edern. Je me dis qu’on reste sur une série de défaites contre Edern chez eux. Et je me dis qu’on reste sur une série de défaites tout court .. Camaret .. Chateaulin. Mais je me dis que toutes les séries ont une fin. Je rêve de victoire triomphante. De nul acharné.

Eh ben en retour, j’ai eu droit à une raclée, une fessée, une rouste. Et une sévère. Une dont tu te souviens avant de t’endormir. Le genre qu’on recevait autrefois quand on ramenait le carnet de notes avec la sinistre mention : «Ne travaille pas. Ne pense qu’à chahuter. Distrait ses petits camarades». Oui, mais ça c’était avant. Parce que maintenant, dans ce cas de figure, on prend rendez-vous avec le psychologue, ou au pire, direct avec le psychiatre. Au mieux, si t’es chanceux, tu écopes de 45 séances d’orthophonie. « Times are changing » disait Bob Dylan.

Faut comprendre mon désarroi, mon chagrin, mon tourment, ma détresse. Je suis le petit supporter lambda. Et ce petit supporter est seul au monde. Personne à qui confier sa peine. Il ne fait pas partie de la direction, du commandement, du Staff comme il faut dire.

Le Staff c’est, si tu veux, le club des chefs du club. Le Politburo en quelque sorte. La Nomenklatura. Le Quartier Général. La Cour. Le Saint-Siège. La Maison Blanche. Les GO. Quand tu es simple supporter, tu n’en fait pas partie. Les membres dudit Staff consentent à te faire un petit geste amical de la main, un petit clin d’œil, même des fois à t’adresser la parole, à te glisser une petite anecdote du genre « voyez-vous mon cher, il y a 15 ans, nous avons joué ici, un 11 mai, par une chaleur encore plus forte. On avait renforcé la « B » avec un joueur à chaque ligne, et pourtant on avait perdu 5-1 » ! Il y a tout dans cette phrase pour te faire comprendre que le Staff, ben tu n’en fait pas partie. Il y a 15 ans, le gars était déjà là. Pas toi ! Et il a des souvenirs plus précis qu’un calcul d’Einstein ou une horloge suisse, la date, la chaleur, le score, la compo de l’équipe. Là tu vois que la culture footballistique du Club est au Staff ce que le porte-jarretelles est à la femme : un atout maitre qu’il faut sortir au bon moment. Classieuse cette affirmation !.

En haut, au sommet de la pyramide, il y a le Président. Tu découvres son nom en lisant le journal : le club a élu son président à l’issue de l’assemblée générale annuelle. C’est démocratique comme l’élection du Pape sauf que là, il n’y a pas de fumée blanche. Qu’est ce qu’il fait le Président ? Ben il nomme l’entraineur et signe un article en début de saison, où il dit qu’il voulait être Président, qu’il est content d’être Président, qu’il compte le rester un bon moment, vu qu’il a été élu démocratiquement, et qu’il faut arrêter de l’embêter.

Il est la voix des Gars. Dès qu’il y a un micro, il faut qu’il s’en empare, et là, nul ne peut l’arrêter. Matchs, réunions, inaugurations, colloques, réceptions, commissions, séminaires, si il y a un micro, il est pour lui le Président Paulo, dit « Paulo à la voix d’or », mélange de Luis Mariano et de Mireille Mathieu. En trois mots, il te transforme un austère conclave en une jam-session totalement déjantée. Il sait agrémenter la lecture de la compo des équipes de jeu de mots brillants, de calembours pétillants, de contrepèteries spirituelles qui ont fait son succès et sa notoriété.

On l’invite pour les mariages et les communions, c’est dire. Il déclare qu’il est content, Il flatte, élections obligent, qu’il est content à la fois des joueurs, de l’entraineur de la A, de l’entraineur de la B, des entraineurs des jeunes, les U « machin », de l’entraineur des filles, pardon des féminines, des annonceurs, de la municipalité, du milieu économique, des bénévoles.. Heu, là je ne vois plus. Ah si, il est content des beaux ballons bien ronds, et des filets et des poteaux et du gazon. Il positive. Mais notre Président est un visionnaire, un concepteur, un bâtisseur : il a acté l’achat d’un deuxième bac à frites et pour les buts, il a opté pour des filets blancs ! Mélange à la fois d’audace et de détermination ! D’avoir imposé le port de chaussettes bicolores restera le haut fait d’armes de son mandat. On en parlera encore dans 100 ans ou plus! Marignan ? 1515. Prise de la Bastille ? 1789. La chaussette jaune et noire ? 2014 !

A côté du Président, il y a 4 vice-présidents. Ce sont des gars qui n’ont pas pu ou n’ont pas voulu être président, ou qui l’ont été et qui n’ont plus voulu. Pourquoi vice et pas adjoint ou suppléant ? Vice, ce n’est pas une question de débauche ou de luxure. C’est une particule qui veut dire « à la place de… ». Ce qui signifie que si, le suppléant supplée et l’adjoint joint, le vice vise ..... la place. Nuance. Il y a du coup d’état dans l’air, de la félonie, et même de la vilénie comme disent les sauteurs à la perche. Ils sont 4 derrière le Président ! Un quarteron d’ambitieux face au Président. L’Histoire se répète. Ils sont là pour surveiller le Président au cas où celui-ci sombrerait dans la neurasthénie, envisagerait une rétrogradation en division inférieure par exemple, ou basculerait dans la démesure, ouvrirait de chantiers pharaoniques, ou voudrait se faire appeler « La Prince » ou « Monseigneur » ou « Votre Altesse » ! C’est, comme on dit à Rome, des sortes de sous-papes de sécurité… (Ah elle est bonne celle-là !)

En dessous il y a le secrétaire. Un rôle important. Primordial. Doté d’un carnet à spirales à couverture plastifiée, à cause des intempéries, et d’un crayon à quatre couleurs, payés par le club (en cas de perte, ces deux éléments sont à sa charge NDLR), il note. C’est comme le secrétaire de l’Elysée. Il traduit. Il dit à toi ce que le président a dit parce que le Président, il parle pas à toi. En plus, il organise les grandes festivités : les concours de pronostics et …… les concours de pronostics. Vaste programme. Mais attention son rôle est important. Il doit s’exprimer en français compréhensible, niveau CP. Il doit écrire le français correctement, niveau CM1. Il doit manier quelques mots d’anglais et de breton, mais c’est en option. Il doit savoir compter jusqu'à 10 sans calculette, ni tablette, ni portable. Sur les doigts il a le droit, mais discrètement, quand même, dans le dos, parce c’est un communicant. Il gère la communication du Président et des 4 vice-présidents.

Il a un rôle ingrat et on doit le respecter. On doit lui dire « Monsieur le Secrétaire » et non pas « Oooooh qu’est que tu fous ? Ils sont où tes pronostics ? ». On l’a doté d’un adjoint, dont le rôle est de faire patienter les gagnants des concours de pronostics en leur sortant la phrase apprise à l’avance « mais où il est encore passé ce con ? » Important donc le secrétaire. Homme de l’ombre, le secrétaire est par définition secret. M’inquiète quand même, il y a du Kerviel dans l’allure ……Faudra surveiller ses notes......

En dessous il y a le trésorier. Très important aussi le trésorier. Il a la clé du coffre mais pas le code. Tu vas comprendre pourquoi si tu suis bien. C’est l’Onc’ Picsou du Club. Lui son truc, c’est les sous, les ronds, le pognon, le blé, la joncaille, la braise, le flouze. La citation « Touche pas au grisbi, salope ! » des Tontons Flingueurs est gravée à l’Opinel sur son bois de lit, c’est dire. Il doit respirer la confiance, inspirer l’intégrité, suer l’honnêteté, transpirer la probité, dégouliner d’incorruptibilité.

Une sorte de proxénète de la morale.

Bon, mais il ne faut rien exagérer, tout le monde peut faillir. Le jeu, les femmes, le tiercé, le Monopoly …. Alors on a nommé un trésorier-adjoint qui a le code mais pas la clé. T’as pigé l’astuce ? Dupond et Dupont ! Onc’ Picsou et Onc’ Donald. On surprend ici le trésorier dans sa chasse aux resquilleurs. Tenace le gars.

Et puis en dessous il y a les membres. C’est comme le corps humain, il y a la tête avec le cerveau et les membres, les bras et les jambes. Des gens dévoués, zélés, qui se donnent corps et âme. Des petites mains. Des sans-grades. Des obscurs. Les membres actifs. Certains croient qu’ils ont encore 20 ans et veulent épater la galerie……..Triste.

Et l’entraineur. Le coach (prononcez cotch). A part dans la maison. Bien que nommé et non pas élu, il fait partie du Staff par alliance. On lui donne un siège mais éjectable. Alors dimanche, pour lui témoigner de sa confiance, et éviter la pression, notre Président lui avait acheté un beau t-shirt avec une belle étiquette. Le Staff est une grande famille ……………..

L’entraineur est seul sur le bord du terrain. Debout comme la Bigoudène sur le quai, le regard pénétrant et froid, le visage buriné par les embruns, les cheveux balayés par le vent, le bonnet vissé sur le crâne comme la coiffe, il attend. Il n’attend pas le bateau comme la Bigoudène, il attend … que les gars jouent au foot. Il sait ce qu’il faut faire. Il leur a dit aux joueurs. Mais ses gars ne le font pas, alors ça l’agace. Et il attend………..Comme la bigoudène, l’entraineur marine………….

(On s’arrête deux secondes. Ici l’auteur, pertinemment, semble vouloir faire un rapprochement entre deux éléments a priori indépendants «entraineur, bigoudène ». L’auteur, intelligemment, fait une digression avec «quai, embruns, vent, bateau». Puis l’auteur, subtilement, propose le trait d’union «marine». Finalement le talent de l’auteur explose dans la conjonction, d’abord sous-entendue dans l’introduction, puis dévoilée dans la conclusion, des deux éléments a priori distincts «entraineur, bigoudène». Quel talent ce AN !!!) NDLR

Pourtant c’est lui qui a tout expliqué avant le match. Le président et le Staff et certains joueurs comprennent, mais pas toi. C’est normal. C’est entre eux. C’est codé. Tu n’es pas dans le Staff. C’est leur langue. Faut avoir une licence … de foot ou au mieux une maitrise … du jeu.

Et puis il y a le supporter. Seul. Solitaire.
Alors les gars, faites lui plaisir. Ce dernier match à la maison, avant le pot de départ, gagnez-le ! Le jambon-macédoine sera moins aigre.

Et pis on est rentré.

AN