Plonévez-Telgruc

Telgruc

Match en retard. Match à ne pas perdre.

Une mi-temps sans jouer. Une mi-temps pour jouer.

Tout cela sous les yeux du coach pensif, stressé, songeur, tourmenté, soucieux, préoccupé, tendu, tracassé. Assurément sous le bonnet de coach se cache un authentique être humain.

Mais également, et ceci est plus stressant, sous le regard du Politburo. Quatre syllabes pour dénommer le redoutable et redouté Politburo, la plus haute instance du pouvoir des Gars, sorte de Comité Directeur Exécutif Permanent des différentes instances exécuto-législatives des Gars de Plonévez du Faou !

Politburo, quatre syllabes pour le qualifier mais seulement trois membres pour le composer, un triumvirat (troïka en russe).

Ils sont là à trois. Normal pour former un triumvirat (troïka en russe). Trois silhouettes revêtues de l’authentique pèlerine noire, austère mais emblématique tunique allouée aux membres du triumvirat (troïka en russe), par prélèvement automatique sur le montant des cotisations des joueurs. Impôt institué par le triumvirat lui-même (troïka en russe). Impôt injuste, certes mais nécessaire pour permettre au-dit triumvirat (troïka en russe) d’assister aux matchs par temps froid sans risquer la fluxion de poitrine ou le rhume mauvais.

Spectres sombres, impassibles, fondus dans la pénombre d’une froide après-midi de décembre.

Statues inertes, revêtues de la longue toge noire, frappée du logo des Gars.

Ombres mystérieuses, fantomatiques, immobiles, muettes, terrifiantes.

Ils sont là !

Ils sont trois.

A noter que la casquette du dirigeant du milieu, le plus fourbe, n’a pas fait l’objet d’une prise en charge par la trésorerie du Comité Central, malgré les pleurnicheries et les jérémiades du-dit dirigeant du milieu. (NDLR).

Ils sont là, les trois membres du redouté Comité Central du Bureau aux Affaires Sportives, à la Jeunesse et à la Condition Féminine.

Ils sont là, ombres ténébreuses dans la sinistre grisaille de l’hiver, créatures macabres dans l’atmosphère crépusculaire de fin d’après-midi, statues lugubres échappées d’un mausolée guerrier, momies hagardes extraites d’une pyramide antique, gisants verticaux de nef de cathédrale, fossiles arrachés aux sédiments de la préhistoire.

Ils sont là. Comme les statues de l'Ile de Pâques. Mais en nombre restreint. Seulement trois. Le triumvirat (troïka en russe).

Ils sont là. Le front bas, l’œil mi-clos, les lèvres pincées, les joues creuses, les mâchoires crispées, les poings serrés.

Ils sont là. Ils analysent le match des Gars à voix basse. Voix de mélé-cass*. Ils émettent quelques onomatopées brèves, inaudibles, inarticulées, mystérieuses, confuses. Débit saccadé. Ton monocorde. Sonorité caverneuse. Langage d’initié inaccessible au spectateur lambda. Opaque. Hermétique. Codé.

Ils sont là. Ils marmonnent, ronchonnent, incriminent, bredouillent, murmurent, blâment, bougonnent, grommèlent, condamnent, jargonnent, bredouillent, chuchotent, récriminent, désapprouvent, morigènent, maugréent, baragouinent…

Ils sont là. Ils critiquent. Ils s’agacent. Ils se crispent. Ils néantisent.

Ils sont là. Ils ont de temps en temps, une esquisse de geste, souvent de dépit, ou une ébauche de mouvement, souvent de mécontentement, ou encore une amorce de tressaillement, souvent de contrariété. Cela perturbe un peu l’agencement du triumvirat (troïka en russe). Mais tout est en retenue, discret, mesuré, contrôlé, maîtrisé, réfréné.

Ils sont là. Ils suivent le match des Gars avec l’exubérance qu’afficherait une pintade à l‘élection de Miss Dinde Label France.

Eclairons un peu ces créatures avides de l’obscure noirceur du crépuscule ténébreux de décembre.

Ah, on les distingue mieux.

Le jeu se déroule. Le brassard de capitaine change de propriétaire. Preuve du temps qui passe (NDLR). Les Gars marquent 4 buts. Cela réchauffe le cœur. Les supporters applaudissent, prennent du bon temps, manifestent leur joie, sont heureux.

Eux, ils sont là. Toujours trois. Même place. Même rang. Même ordre. Même posture. Triumvirat (troïka en russe) impassible, imperturbable, inaccessible…..

Faux. Ne soyons pas mesquin. En fin de match, au décours d’une action des Gars, le triumvirat (troïka en russe) a témoigné de son émoi par une gestualité primitive sans doute, éphémère certes, discrète assurément mais indéniable. Le chef, le plus grand, vous comprendrez plus tard, opine du chef évidemment, et le sous-chef opère une rotation du corps à 45 degrés gauche, et de la tête à 34 degrés gauche en direction du chef, le regard passant au dessus du petit du milieu, le plus fourbe, qui lui ne bouge pas. Etrange mouvement cabalistique dont la signification exacte nous échappe.

Alors que, en URSS, CCCP sur les maillots des sportifs, qui se prononce d’ailleurs SSSR, l’on mesurait l’importance du personnage à la quantité de médailles accrochées à la veste, chez nous c’est la taille qui prime.

La toise, chez nous, fixe la hiérarchie avec un meneur ou chef et des échelons intermédiaires jusqu'aux personnes de la base (joueurs, supporters et tout en bas féminines). Habituellement on monte par l'ancienneté, ou en obtenant de l’autorité sur plus de gens, ou par fourberie, ou par traîtrise, ou par escroquerie. Pas de cela chez nous, à l’instar du nombre de médailles chez nos amis soviétiques, c’est le nombre de centimètres qui montre le chef.

Et je vous apporte la preuve de ce que j’avance. Pas d’erreur chez les sieurs !

Encore que celui du milieu, le plus fourbe, a tenté de tricher en se dopant, pardon en se dotant d’une casquette, plate certes, mais crapulerie indéniable, augmentant sa taille de façon illicite.

Car tout est affaire de symbole, la toise est aux Gars de Plonévez ce qu’était la guillotine aux Sans Culottes, mais dans l’autre sens : la sélection par le haut. La toise comme la guillotine tranche et coupe court à toute contestation. Certes, la toise est plus sûre car l’usage immodéré de la guillotine, comme cela s’est vu dans le passé, aurait,par le raccourcissement abusif de la taille, par la décapitation itérative, limité le nombre de candidats potentiels sous la toise pour la direction des Gars !! Il faut savoir raison garder.

En tout cas, le Politburo nous montre une image rassurante de ce qu’est une direction de club. Un triumvirat (troïka en russe) soudé, hiérarchisé, structuré, et pour tout dire viril.

Le match.

Les Gars ne sont pas présents,

Et laissent passivement,

Telgruc regagner les vestiaires,

Avec ce petit but solitaire.

Menés un à zéro à la mi-temps,

Score logique finalement,

Les Gars sortent la tête de l’eau

Grâce à 2 buts de l’ami Leo.

Et Romain qui, faisant mouche,

Et Antho remettant une couche,

Gonflent le score en notre faveur,

Et nous mettent du baume au cœur.

Et pis on est rentré.

AN

PS :

Suprême prévenance, le triumvirat (troïka en russe) vous souhaite, avec leur exubérance communicative, une bonne année 2015 .…

PS: T'es toujours fidèle au mélé-casse ?

Ben, dis-donc, c'est une boisson d'époque !

Dans ce dialogue d'Audiard entre Jean Gabin et Françoise Rosay (le cave se rebiffe) le mélé-casse, mélé-cassis de son vrai nom, est un mélange d'eau-de-vie et de liqueur de cassis dans des proportions laissées à l'appréciation de chacun. Plus dévastatrice que l'inoffesive invention du chanoine Kir. Et notamment pour la voix. On disait d'un monsieur porté sur la bouteille et dont la voix était éraillée, qu'il avait une voix de mélé-casse.

Merci AN. Un peu de culture ne nuit pas !